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La Fleur du mal de Claude Chabrol

"Le temps n'existe pas. C'est un présent perpétuel", clame Suzanne Flon. La Fleur du mal ne ressemble à rien d'autre qu'à un film de Chabrol. C'est un suspense désamorcé - on commence par la fin. Le film ne se construit pas autour d'une intrigue mais plutôt autour d'un présent qui ne cesse de se répéter à l'identique. C'est l'histoire de la famille Charpin-Vasseur peuplée d'incestes et de parricides, qu'un simple mot, l'aveu du "je n'aime pas mon père" résume assez bien et pourtant n'a pas tant d'importance puisqu'il ne déclenche aucune action apparente. Une foule d'aveux n'attendent d'ailleurs que ça, être dits. Toute l'interrogation du film n'est dès lors pas "qu'est-ce qui va se passer ?" mais davantage "comment cela va-t-il se passer ?" ou "comment cela va-t-il se révéler ?", car la mise en scène de Chabrol agit comme une révélation au sens photographique. Les lieux sont des personnages en soi, témoins des crimes, qui attendent l'impression de nouveaux actes. La caméra parcourt l'escalier au début du film, les personnages refont le trajet à la fin. Un mouvement de caméra lie dans leur silence la tante Line et la jeune Michelle en les enfermant toutes les deux dans une cage à oiseau. Image qui revient quand elles portent ensemble un corps dans les escaliers et qu'on les voit à travers les barreaux.


La plus grande réussite de Chabrol, c'est quand ironie et cruauté ne font qu'un. Les gros plans de baisers entre Michelle et son cousin, fatalement amants, rappellent ceux des Enchaînés, ce qu'ils sont indéniablement, mais ces plans ont aussi une fonction de miroir, comme pour montrer l'enfermement narcissique de cette famille. Comme le plan de Nathalie Baye devant son affiche, coiffée à l'identique. Chabrol s'amuse, et nous amuse. Les plans de coupe ne sont pas ici des paysages mais des gros plans de nourriture. Et en même temps dans ces plans de baisers, de nourriture, il y a quelque chose de profondément obscène (l'obscénité d'un amour obligé qui satisfait tout le monde, l'obscénité d'une classe). L'ironie mène le film à tous les niveaux : dialogues et acteurs sont regardés avec une distance goguenarde - heureusement parce qu'ils sont un peu inégaux, les dialogues comme les acteurs.


Mais cette ironie s'éteint un temps devant la représentation du F.N., ou du meurtre, et on comprend que les personnages, comme celui de Baye, sont autre chose que des pions. Ils se caricaturent eux-mêmes, certes, mais ils ne sont pas pour autant condamnés par Chabrol. Et c'est là qu'on retrouve une morale très renoirienne où la méchanceté est celle d'une classe et pas celle de l'humain. Le film a beau jouer avec le spectateur, se moquer, il a in fine une cruauté sérieuse, quelque chose qui fait que non, ce n'était pas qu'un jeu, pas qu'une parodie de tragédie, pas qu'une caricature de la bourgeoisie bordelaise - même si c'est aussi tout cela - il y avait une morale derrière. Et on se souvient alors des meilleurs Chabrol, du Boucher à Que la bête meure : La Fleur du mal n'atteint pas ce niveau, peut-être parce que le traitement de la politique reste assez sage, et le personnage du "méchant" aussi. On pardonnera beaucoup au film puisque Chabrol est resté fidèle à lui-même, et ce n'est pas son moindre talent que d'arriver, même sur un mode mineur, à nous parler de la Morale avec une jubilation aussi communicative.

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